Les « inemployables » du marché ont un nouveau label « chômeur non mobilisable »

Auparavant existait un système de classement des chômeurs par les services régionaux de l’emploi en une sous-catégorie les « MMPP » pour personne avec des problèmes médicaux, mentaux, psychologiques et psychiatriques.

La refonte du statut « MMPP » en chômeur « non mobilisable », moins stigmatisant, officialise dans la législation chômage fédérale une pratique des services régionaux de l’emploi (Actiris, Forem, DG, VDAB). Depuis le 1er octobre 2020, cela permet de protéger les jeunes en allocation d’insertion de la fin de droit au chômage par une allocation de sauvegarde pendant deux ans avec possibilité de renouveler pour deux ans à chaque échéance voire une prolongation de deux ans une fois reconnu à nouveau mobilisable. Les autres, admis sur base du travail, continuent de subir la dégressivité. Etre chômeur non mobilisable signifie qu’on ne cherche plus activement un emploi mais qu’on respecte une disponibilité passive : embrayer dans les actions proposées dans un parcours d’accompagnement adapté par le service de l’emploi régional.

Vous êtes soumis à une obligation de disponibilité passive c’est-à-dire que vous devez accepter tout emploi convenable, vous ne pouvez pas soulever des objections (= mettre des conditions) non justifiées à votre remise au travail et vous devez collaborer positivement aux actions d’accompagnement proposées par le service régional de l’emploi compétent (ACTIRIS, ADG, FOREM, VDAB). (Fiche info ONEM T166)

Les fiches info de l’ONEM ne se départissent jamais d’un ton menaçant. Il y a un problème chronique de manquement au droit du travail en général dans le logiciel du soupçon de l’ONEM. Les chômeurs non mobilisables sont par essence des travailleurs qui nécessitent des aménagements parce qu’ils ne rentrent pas dans les cases réservées aux travailleurs « conformes » à la norme patronale. Une norme excluante bien évidemment.

Alors que le travail est de plus en plus un haut lieu toxique et la cause de souffrances et de problèmes physiques comme mentaux, on va tout faire pour y remettre des personnes qui peut-être sont encore en vie parce qu’on les a viré de leur boulot (burnout/dépression sont les premières causes d’invalidité)… L’absurde n’étant jamais bien loin dans la législation chômage, admettons un processus où un jeune non mobilisable est retapé et prêt à en découdre sur le marché de l’emploi, que se passe-t-il ? Et bien, à terme, il finit au CPAS puisque son allocation de sauvegarde aura une fin puisqu’il va mieux et est « mobilisable » ! C’est la meilleure preuve que le système tout entier n’oeuvre pas au bien du chômeur ! Tous ses efforts seront réduits à néants, et il se retrouvera sans ressources. C’est quand même se donner beaucoup de mal, dépenser des ressources et du temps, pour au final, faire chuter les gens (non ça ne finit pas bien comme dans les contes de fées, il ne trouve pas d’autres emplois que des intérims à la journée et il reste au CPAS parce qu’il n’a pas retravaillé assez pour ouvrir le droit au chômage sur base du travail). Pour le patron, c’est évidement le meilleur des mondes …

Tout chômeur peut à tout moment être sanctionné pour obstacle à son plan d’accompagnement s’il conteste ce qu’on lui demande de faire. Tous les chômeurs y sont soumis, pas juste les chômeurs non mobilisables. On ne peut donc plus choisir sa vie, son emploi, sa carrière, si on n’a pas le droit de décider de l’orientation de son plan d’accompagnement. Cette sanction est inacceptable car elle soumet le chômeur de facto au diktat du service régional de l’emploi dont il dépend. Son application sur le terrain est le fait du prince. Légalement, il doit obtempérer. Beaucoup trop est dépendant de la bienveillance de celui qui a le pouvoir.

Les sanctions sont toujours applicables au chômeurs non mobilisables alors qu’elles devraient être levées dans ce cadre-ci vu que certaines sanctions contre les chômeurs visent des comportements de dépressifs chroniques (ne pas savoir tenir un rendez-vous, soit au service régional de l’emploi soit chez l’employeur potentiel par exemple) et surtout ne tiennent pas compte des vicissitudes de la vie ordinaire du chômeur, notamment une chômeuse qui n’a pas de garderie pour son enfant pour se rendre à l’entretien d’embauche comme pour faire une formation.

Le patronat considère les chômeurs non mobilisables comme inemployables et il est attendu des services régionaux de l’emploi qu’ils les accompagnent pour les remettre en selle. Ce que le patronat veut ce sont des chômeurs qui s’intègrent à leurs emplois même si le contexte et les conditions sont propices à de la fraude sociale systémique. Le patronat ne veut pas des chômeurs qui ont besoin, par exemple d’un poste de travail adapté. Avoir des demandes légitimes liées à son état de santé n’est jamais évoqué ouvertement par la législation chômage, car ce serait la porte ouverte aux revendications d’aménagement du poste de travail généralisées pour toute une série de travailleurs considérablement discriminés par les emplois standards offerts.

Il faut à un moment donné, en tant que société, choisir d’être inclusive à toutes les personnes quelles que soient leurs « limitations » ou différences et quitter l’état d’esprit actuel du marché étriqué de l’emploi qui exclut à tour de bras sur base de discriminations, sans conséquences néfastes pour les patrons : sexisme, racisme, âgisme, pauvrophobie, grossophobie, durée de chômage, handicaps physiques et mentaux, etc.

Le fait est que le droit au travail est un droit humain inscrit dans notre Constitution. Il n’y a pas de limitation à ce droit au travail et encore moins d’obligation au travail ce qui rimerait avec le travail contraint. Le droit au travail ne signifie pas le droit d’aller travailler comme certains représentants MR l’ont évoqué au moment des grèves de blocage. Ce droit au travail est universel et donc il doit être reconnu aussi au chômeur « non mobilisable ». L’idée même que l’aide apportée à ces chômeurs aux difficultés multiples dont une bonne part créées par l’organisation de notre société, ne soit qu’à but « d’emploi » est inacceptable. Où est passée la simple compassion et que dire de l’absence cruelle de solidarité et de respect de la dignité humaine ? Notre droit à la vie n’est pas assorti d’une obligation de trimer pour des rapaces qui ne veulent faire aucun effort pour adapter les postes de travail aux travailleurs. C’est le monde à l’envers ou plutôt c’est la version du monde, dystopienne, que veut le patronat belge. Une version où le travailleur n’a plus rien à revendiquer et n’a qu’à exécuter comme le tâcheron qu’il est en touchant sa misère sans broncher.

Voilà pourquoi il faut s’intéresser à comment les plus fragilisés de tous les chômeurs sont « aidés » par le système, avec la complicité des syndicats qui cogèrent avec le patronat et l’exécutif les organismes régionaux de l’emploi. Le travail social dans ce contexte est un travail compliqué.

La pseudo-objectivation via le screening ICF

 

Un nouvel outil basé sur un standard international de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a été développé pour répondre à la critique que la protection de deux ans accordés aux ex-MPPP était attribuée à la tête du client par les services régionaux de l’emploi, ce qui n’est pas faux. Malheureusement, cela ne répond pas à la critique de la Cour des comptes qui souligne qu’il faut une égalité de traitement entre tous les chômeurs et que donc tous les chômeurs ont le même droit de se voir proposer un accompagnement ICF potentiellement puisqu’il détecte leurs freins à l’emploi. Le secteur de la santé mentale avait lui tiré à boulet rouge sur la catégorisation MMPP car des personnes non formées à la santé mentale s’autorisaient à envoyer des chômeurs se faire soigner, ce qui équivaut à une obligation de soin, ce qui n’a rien d’éthique évidemment. Mais cette logique-là in fine, aller « mieux » n’a qu’un but, retourner au turbin, surtout s’adapter aux conditions (acceptables ou non) de ces emplois « disponibles » …

Fruit d’une évolution profonde des concepts de santé sur une vingtaine d’années, la Classification Internationale du Fonctionnement, du Handicap et de la Santé (CIF ou ICF en anglais) s’organise autour du concept bio-médico-pycho-social et de la complexité des interactions sociales et environnementales. La CIF a été adoptée par l’Organisation mondiale de la santé afin de fournir un langage uniformisé et un cadre pour la description et l’organisation des informations relatives au fonctionnement et au handicap.
La CIF analyse les situations de handicap par quatre composants :
• l’organisme (les structures anatomiques et les fonctions physiologiques qui sont
plus ou moins déficientes)
• la participation (les activités accessibles ou inaccessibles, les actions qui peuvent
être accomplies ou non)
• les facteurs environnementaux (ce que la société a prévu ou non pour faciliter
l’intégration des personnes)
• les facteurs personnels (les situations individuelles)
La CIF ne classifie pas les individus mais bien le fonctionnement des individus. Elle est structurée en plusieurs classifications hiérarchiques en catégories. Chaque catégorie étant formulée de manière neutre, il est nécessaire de recourir à des codes qualificatifs pour décrire, selon les cas, les déficiences, les limitations d’activité, les restrictions de participation, les obstacles ou les facilitateurs environnementaux observés. Il s’agit de connaître les possibilités et les obstacles à l’intégration des personnes aux milieux et institutions ordinaires de la société et non d’établir un diagnostic sur leur fonctionnement intellectuel ou psychique. (Marc Jamoulle, janvier 2009, UCL)

Le problème de l’outil CIF, ce n’est pas l’outil lui-même, mais bien qui l’utilise voire qui ne l’utilise pas, dans quel but et dans quel cadre. Et très franchement, en soi, on ne lui reproche pas grand chose à l’outil CIF remanié par le VDAB pour se focaliser sur les freins à l’emploi du chômeur. Ca permet en effet de faire en sorte que les régions parlent le même langage (ça nous changera) mais ça n’enlève rien à la capacité de chaque région de le mettre à sa sauce en fonction de l’impulsion politique régionale.

Pour mieux comprendre son utilité et son usage sur le terrain, j’ai interviewé une responsable d’Actiris et une responsable du Forem.

Lire la suite : Comment les services régionaux de l’emploi organisent le screening ICF?

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