Imaginez un Royaume où sur le simple soupçon d’avoir commis une infraction, sans vérifications préalables, sans preuves, sans enquête préalable impartiale (à charge et à décharge), sans autre raison que le soupçon de la faute, une institution, à la fois juge et partie (qui a même un intérêt budgétaire direct à infliger la sanction…) peut vous couper les vivres d’abord, deux mois durant, puis faire ensuite semblant d’enquêter, mais cette fois, seulement à charge, pour ensuite, éventuellement, décider de vous rétablir dans vos droits ou de vous sanctionner définitivement… (1)
Visualisez (si, si, c’est sans risque…) ce fonctionnaire amoureux du document imprimé sur papier (y compris faxé) et qui ne voit plus en la personne humaine qu’un numéro de dossier à classer dans les plus brefs délais pour être évalué positivement par ses supérieurs hiérarchiques. Tout est chiffré, la quantité de production de dossiers classés et de classeurs rangés et archivés demeure la seule bonne mesure du travail, d’un niveau de production qui s’apparente à l’excellence.
Le résultat, la décision, le fonctionnaire la recommande à son supérieur hiérarchique qui lui en assume, au final, toute la responsabilité, en signant les décisions au nom de l’Office sur tous les documents envoyés aux citoyens, dédouanant ainsi le fonctionnaire tâcheron de la sienne, de sa responsabilité dans la suite d’événement bureaucratique, qui dans la vraie vie, aura un effet domino, entraînant de bien réelles affres et souffrances au malheureux cible du soupçon de l’ONEM.
L’Office, notre Ennemi d’Etat
La Belgique, c’est un Etat de droit, la présomption d’innocence est inscrite dans la loi (2). On n’est pas dans une dictature, les citoyens ont des droits et peuvent les faire valoir. Les «citoyens» oui, sans doute, en théorie. Mais comme le disait avec une justesse prédestinée à durer, George Orwell, fustigeant les dictatures se revendiquant de l’idéal communiste: «Certains sont plus égaux que d’autres », en démocratie aussi (sic).
Imaginez, restons dans la fiction pour commencer, imaginez-vous donc, votre C4 en main (si, si, ça arrive aux meilleurs), vous réinscrivant au chômage. Visites obligées au FOREM (ou Actiris ou ADG ou VDAB selon l’endroit où vous vivez) et à l’organisme de paiement (syndical – payant- ou public – gratuit – au choix). Je vous passe les files d’attentes et les tickets comme chez le boucher, les bureaucrates rébarbatifs et stressés qui vous expédient comme un paquet encombrant, bîîîîîp, au suivant.
Comme votre licenciement est une (fort) mauvaise surprise, vous aviez déjà vos billets d’avion pour aller passer un mois au soleil avec votre dulcinée. Vous partez donc en voyage, l’esprit relativement serein, vous vous dites, « vacances, j’oublie tout, plus rien à faire du tout, je m’envoie en l’air, …». Et bardaf, c’est l’embardée, au retour dans le Royaume. Non, vos vacances ne se sont pas aussi mal terminées que sur «l’île de la tentation», au retour, vous découvrez que vous n’avez pas reçu un copeck de votre assurance-chômage, (typique des assureurs en même temps de resquiller dès qu’il faut payer non?).
Alors que l’échéance est largement dépassée, vous découvrez aussi une lettre de l’ONEM vous invitant à être entendu en leur bureau sur votre licenciement « suite à une attitude fautive ». L’ONEM vous soupçonne en effet d’être chômeur de votre plein gré, ne voulant pas faire mentir l’adage « un malheur n’arrive jamais seul »!
ONEM : on achève bien … le travailleur viré!
Zoom sur la réalité, ici, maintenant. Notre travailleur licencié a reçu un C4 remplit par l’employeur qui indique «ne convient pas». Le document C4 est un document patronal obligatoire qui doit être immédiatement remis au salarié licencié à la fin de son préavis ou le dernier jour de travail presté pour l’employeur (il est d’aille
urs souvent non remis par les patrons-fraudeurs).
Le document C4 reprend beaucoup d’informations capitales pour déterminer le droit à l’allocation ainsi que son montant mais aussi déterminer si oui ou non, on a le droit au chômage car la raison du licenciement, décidée par l’employeur induit soit le soupçon soit le refus catégorique de paiement (exemples de motifs indiqués sur la C4 : «incompatibilité d’humeur », «ne convient pas» ou «restructuration» , «réorganisation du service» ou pire «faute grave» ce qui oblige le chômeur au recours au tribunal du Travail car l’ONEM ne paiera pas le chômage si le travailleur a fauté aux dires de l’employeur). L’ONEM, lui, dispose d’un véritable arsenal législatif, les raisons d’exclure se déclinent en pas moins de 80 «motifs» et toute contestation du système est sanctionnée aussi (3). Le chômeur part donc avec un sacré handicap …
L’interrogatoire à l’ONEM ou audition *
L’ONEM, ce n’est pas la Gestapo, quel mal un fonctionnaire pourrait-il bien causer dans un entretien en face à face qui accuse et cherche la faute à tout prix ? Et bien, beaucoup! Car la majorité des travailleurs n’y connaissent rien aux règles qui transforment leur vie quotidienne en violation du droit au chômage. Il suffit d’une lettre envoyée par courrier simple pour que les ennuis commencent, alors ouvrez tous vos courriers ONEM, FOREM (ou Actiris/ADG/VDAB), ALE et répondez-y pour éviter les ennuis …
Les protagonistes :
- L’inspecteur social de l’ONEM ou @LeContrôleur
- Le travailleur licencié ayant cotisé pour le droit au chômage et demandeur de bénéficier de ce droit ou présumé coupable subissant une pré-sanction de 2 mois de suspension des allocations de chômage en attendant la décision définitive de l’Office (ni jugement, ni tribunal ici) @LeChômeur
- Excusé (sic) le délégué syndical pour cause de vacances et sous effectif dans le syndicat (plus petit syndicat dans le ressort du Bureau de Chômage en question. Pour rappel, la Belgique compte 3 syndicats, un socialiste FGTB, un chrétien CSC et un libéral CGSLB, tous ont comme fonction de payer les allocations de chômage au sans emploi en plus d’organiser la défense syndicale et participent en outre au comité de gestion de toutes les institutions de la Sécu, en cogestion avec le banc patronal).
@LeContrôleur Suite au motif indiqué sur le C4, ne convient plus ou ne convient pas, on a fait une enquête patronale, c’est pour cela que vous ê
tes ici.
@LeChômeur murmure d’acquiescement, hésitant
@LeContrôleur Il n’y a rien dans mon dossier (NDLR informatique) donc je regarde sur mon bureau peut-être que c’est arrivé entre temps.
@LeChômeur Je voudrais comprendre pourquoi il est indiqué sur ma lettre de convocation que mon licenciement résulterait d’une « attitude fautive ».
@LeContrôleur Nous présumons que c’est une attitude fautive et c’est à vous de nous apporter des éléments de preuves du contraire.
Le contrôleur s’interrompt car son dossier (informatique) étant vide, il appelle par téléphone une autre personne du service contrôle qui aurait des informations plus récentes.
(Pour rappel le licenciement a eu lieu mi juin et nous sommes en septembre.)
«Donc, ici il n’y a pas de retour alors», à son collègue au bout du fil.
Au chômeur : L’employeur n’a pas répondu à notre enquête, on lui a écrit en date du 5 et du 25 août.
@LeChômeur Et c’est normal que l’employeur ne réponde pas?
(Silence)
@LeContrôleur Revenons au motif de licenciement indiqué sur le C4, ne convient pas pour le poste, vous avez été engagé le 12/11 et vous avez été licencié le 22/06 avec une période de préavis.
Le contrôleur arrête de triturer les documents sur son bureau et se met à taper le compte-rendu de l’entretien à l’ordinateur en même temps que le chômeur parle.
@LeChômeur Je ne suis pas d’accord avec le motif du licenciement, car je conviens tout à fait pour le poste puisque je suis diplômé d’une formation dans le domaine et titulaire de la Loi Tobback des personnes habilitées à faire du gardiennage.
@LeContrôleur C’était votre fonction ? Ce n’est pas précisé.
@LeChômeur Voici le contrat de travail que j’ai signé. J’ai écrit un résumé qui raconte toute l’histoire car c’est très compliqué, il reprend la chronologie des faits pour plus de clarté.
Silence pendant que le contrôleur compulse tout le dossier préparé par le chômeur avec l’aide de son syndicat.
@LeContrôleur Vous avez la copie de la plainte déposée au Contrôle des Lois Sociales?
@LeChômeur Oui, voici. Silence pendant la lecture du document. Ca ne m’arrange pas du tout d’être sur le carreau, c’est un coup dur financièrement. Je ne m’y attendais pas, surtout que j’ai formé les personnes qui y travaillent encore, qui utilisent des procédures que j’ai mises en place.
Le contrôleur acquiesce sans lever les yeux des documents fournis.
@LeContrôleur Il y a déjà eu des suites?
@LeChômeur L’enquête est en cours mais il y a déjà eu des rectifications de la part de l’Office National des Vacances Annuelles, deux fois, une fois 65 une fois 35 euros c’est toujours en cours.
Le contrôleur se remet à taper sur son clavier.
@LeChômeur Je dois vous dire que j’ai été surpris de cette convocation. Et plus encore de me voir couper les vivres…
@LeContrôleur Quand il est indiqué ne convient pas sur le C4, on regarde toujours si c’est endéans la période d’essai. Quand c’est hors période d’essai, on se pose toujours la question, pourquoi la personne ne convient pas.
@LeChômeur Oui, bien sûr. Comme vous le voyez, mes demandes de rectification des erreurs répétées dans mes fiches de paie par email tant au préposé aux fiches de paie qu’au Directeur des ressources humaines, sont restées sans réponse. Si je prends un exemple d’erreur : un jour férié qui tombe un dimanche et qui est payé à 100%.
@LeContrôleur Je peux mettre que ce sont vos revendications salariales qui ont conduit à votre licenciement – ce n’est pas trop fort ?- ou bien vos réclamations?
@LeChômeur Je demande simplement qu’ils appliquent ce qui est prévu par la législation, qu’ils me paient les heures effectuées comme elles devraient l’être. Par exemple, je fais 40 heures par semaine, il me paie 40 heures normales alors que je dois être payé 38 heures normales et 2 heures supplémentaires, selon les règlements et la CCT. Et là aussi, il y a un problème, c’est du gardiennage en interne, je ne devrais pas relever de cette CCT là. Or le Ministère de l’Intérieur à qui j’ai écrit me répond que la société n’est pas inscrite pour faire du gardiennage en interne. Tous les autres salariés n’ont pas la formation Tobback ni le droit de faire du gardiennage en interne. Il faut être agréé par le Ministère de l’Intérieur. Si je ne conviens pas pour un poste où j’ai toutes les agréments, pour quel emploi est-ce que je pourrais bien convenir alors…
@LeContrôleur Elle n’est pas en conformité avec la législation concernant le gardiennage; c’est bien ça?
@LeChômeur Voilà l’annonce publiée pour recruter les autres personnes, là, il ne demande pas l’agrément Tobback. J’ai formé moi-même les autres gardie
ns, ceux sans loi Tobback et je me fais viré parce que je réclame qu’on me paie mon salaire complètement, au taux horaire légal.
@LeContrôleur Tobback, c’est bien T,O,B,B,A,C,K ?
@LeChômeur C’est bien ça.
@LeContrôleur C’est tout ce que vous avez à reprocher à l’entreprise ? Ou on passe à la plainte?
@LeChômeur Le dossier est en cours avec le syndicat. J’ai donc demandé la rectification des fiches de salaire et des salaires impayés pour les heures supplémentaires, les week-ends, les jours fériés. Après mon licenciement, j’ai écrit au Ministère de l’Intérieur concernant l’agrément pour faire du gardiennage en interne et par là signalé que l’entreprise le faisait déjà et il devrait mener l’enquête et il y aura des suites. Je considère que ce licenciement est abusif. En l’état actuel, le syndicat a reçu toutes mes fiches de paie pour en effectuer le re-calcul. Une fois que ce sera fait, je re-déposerai plainte aux Lois Sociales pour récupérations, cela influencera les impôts, les vacances annuelles, la pension.
@LeContrôleur Votre recherche d’emploi, qu’est-ce que ça donne?
@LeChômeur Je passe des examens au Selor. Dans le gardiennage, j’ai toutes les formations et je n’ai besoin d’aucune formation supplémentaire mais je me ré-oriente. Je suis inscrit dans une nouvelle formation en informatique.
@LeContrôleur Je peux faire des copies de tout?
@LeChômeur Oui, oui.
J’avais une petite question, concernant le paiement des mes allocations de chômage. Je voudrais savoir pourquoi on me suspend?
@LeContrôleur Je crois qu’on est hors délai maintenant. Après deux mois, la suspension est levée. Il y a un article de la législation chômage qui nous y autorise. Ensuite, autre chose bloque votre paiement, vous avez une activité à titre complémentaire…
@LeChômeur non elle est finie depuis longtemps.
@LeContrôleur Vous ne nous avez pas fourni l’extrait de rôle de 2009.
Pour ceci le délai est dépassé et c’est débloqué, mais pour l’autre, l’activité complémentaire, ça risque de continuer à bloquer.
@LeChômeur Tout a été clôturé il y a longtemps, j’ai ici ce document qui le confirme j’ai cessé toute activité et je l’ai donné au syndicat, c’est dans mon dossier.
@LeContrôleur Je ne peux pas le prendre, il faut le remettre à l’organisme de paiement.
@LeChômeur Mais le syndicat a déjà tout transmis, j’ai tout clôturé.
Je vais repasser au syndicat pour m’assurer que vous l’ayez dans les plus brefs délais.
C’est un problème informatique?
@LeContrôleur Je regarde, non, c’est une erreur humaine. Vous avez clôturé les activités quand?
@LeChômeur En 2008. Vous pensez que vous mettrez combien de temps pour débloquer le paiement parce que c’est un peu dur pour moi …
@LeContrôleur Je pense que je devrais pouvoir classer sans suite, au conditionnel, car l’enquête patronale n’a rien donné, alors que vous amenez des éléments. Si vous m’envoyez copie de l’extrait de rôle 2009 sur l’activité à titre complémentaire clôturée aujourd’hui, tout sera transmis au service aujourd’hui et vous serez en règle pour le paiement dans les plus brefs délais.
Je vous relis la déclaration avant de l’imprimer et de la signer.
Le chômeur reçoit obligatoirement copie de sa déclaration qu’il doit signer. Une copie restant à l’ONEM.
Que déduire de cet interrogatoire « soft » à l’ONEM
Primo, le chômeur est venu préparé, avec l’aide de son syndicat (absent à l’interrogatoire alors qu’il devait y être, pour cause de sous-effectif et vacances). Il avait préparé un récapitulatif écrit, qu’il avait devant lui, date par date des événements ayant conduit à son licenciement, où était même noté la date et l’heure du moment où il a été interpellé sur son lieu de travail par un supérieur qui lui a demandé si c’était bien lui qui avait porté plainte aux lois sociales, ce qui a conduit à son licenciement quelques jours plus tard. Il n’y a pas de hasard évidemment…
Il s’est présenté avec un volumineux dossier papier de preuves, d’emails écrits à son employeur et restés sans réponses, de date et de faits qui montraient une chronologie logique des événements. L’ONEM se voit couper l’herbe sous le pied par un chômeur bureaucratiquement correct. C’est un « bon chômeur » il entretient même la gabegie pantagruélique de paperasse toute «onèmienne». En plus il y a plainte au contrôle des lois sociales, l’institution-sœur, c’est très bien de faire confiance au «système». En même temps, la communication entre institutions de la Sécu ne fonctionne bien que dans un sens, quand il s’agit d’exclure ou sanctionner des chômeurs (processus automatisé informatiquement).
Comme quoi qui veut peut ! Mais, comme par hasard, c’est toujours au détriment de l’assuré social, pas à son profit. On n’a pas simplifié la vie des allocataires sociaux avec l’informatisation mais au contraire augmenté le volume des sanctions…
Imaginez le cas du, – alors – travailleur négligeant, qui ne note rien, n’a pas d’ordre ni de sens aiguisé du rangement logique bureaucratique « onèmien » (on finira par croire que c’est dans les gènes du fonctionnaire, alors que c’est de l’acquis culturel et on sait tous que c’est inégalement présent dans le monde des travailleurs) et n’a pas porté plainte alors qu’on l’a pourtant bien arnaqué sur ses heures, a fait tout ce qu’on lui disait et c’est quand même fait jeter par un patron-escroc qui l’a pressé comme un citron, fait former les nouveaux entrants sans formations et sans doute moins chers que lui, puis s’en est débarrassé comme d’une vieille chaussette, parce que c’est ainsi dans le monde du travail, les patrons n’ont pas à se justifier, ils ont tous les droits et, surtout aujourd’hui, ils les prennent, sans la moindre hésitation vu que la main-d’œuvre est en large surplus…
Ou pire ; imaginez un travailleur harcelé moralement, ou en plein burn-out, qui voit dans son licenciement la fin d’une lente agonie, et doit néanmoins justifier qu’il est un « bon travailleur » qui n’a jamais pensé que se faire virer était la solution (vu qu’on ne gagne jamais contre un patron à porter plainte pour harcèlement en Belgique, là aussi la loi est bien faite…)
Imaginez dès lors ce travailleur devenu chômeur, quelle audition aura-t-il devant le même contrôleur, lui qui est un négligeant, qui n’a pas l’attirail du «bon chômeur» le gros classeur rempli à craquer de paperasse (= preuve de sérieux administratif). Je n’ose pas imaginer ce que ce pauvre-type pourra dire pour sa défense, sans papier, rien pour attester de sa bonne foi, de sa conformité : «Je ne sais pas pourquoi on m’a viré, j’ai fait ce qu’on m’a dit de faire, on ne s’est jamais plaint de moi »… Et puis, il nous fera une super déprime parce qu’il ne comprendra pas ni pourquoi il a été viré, ni pourquoi on l’a soupçonné à l’ONEM, on lui a coupé les vivres deux mois, comble de l’humiliation après le fait d’être chômeur et déclassé social …
« Enquête » à charge et au pas de course
Secundo, ce qui interpelle, c’est la façon de mener une enquête univoque et à sens unique. Ainsi mener une enquête, ce n’est pas tel le Sherlock des droits sociaux, enfiler sa panoplie de détective, aiguiser son goût de la résolution d’énigmes, pour mettre sous la loupe et débusquer les vrais criminels, (patronaux, ceux qui licencient pour un oui pour un non, sic). Non, une enquête à l’ONEM est dans la grande tradition bureaucratique « onèmienne » : envoyer un courrier par lettre simple, deux fois à 15 jours d’intervalle, à un patron qui ne répond pas (ouf !). Ensuite, on cuisine en face à face le chômeur sans la moindre bienveillance ni impartialité.
Le patron lui n’est pas entendu (et encore moins cuisiné) dans leur bureau, ni obligé à quoi que ce soit. Aucune sanction ne l’attende pour non-réponse à enquête. En effet, le patronat n’est pas l’objet de la surveillance et du contrôle de l’ONEM, l’Office ne se charge que des travailleurs qu’il indemnise (exception faites des titres-services où il prend plus en charge).
Ca pose ensuite la question de la vérification de la validité de la réponse, écrite, patronale. Car le chômeur, lui, il a intérêt à avoir des « pièces justificatives» en plus de juste « sa bonne foi » qui est déjà mise en cause puisqu’il subit déjà la sanction de privation de revenu. On ne peut pas dire que le chômeur arrive confiant en l’impartialité de l’Office. La présomption de culpabilité l’accable déjà.
Il doit bien y avoir quelques patrons qui ne disent pas toute la vérité sur le papier? Combien de documents, de preuves doivent-ils apporter ? Bah, eux, on les croit sur parole … Impressionnante investigation que la seule récolte de la (bonne) parole patronale.
Le chômeur n’a pas encore pu l’ouvrir qu’il est déjà puni : on lui a coupé les vivres (deux mois!), comme ça du jour au lendemain, parce qu’il a osé être viré sous un prétexte que le patron a décidé seul, sucé de son pouce parce qu’il fallait bien justifier l’injustifiable, un patron ne va pas écrire sur le C4 « je le vire parce que je l’escroque à l’insu de son plein gré et qu’il se rebiffe, celui-là à aller porter plainte aux lois sociales en plus! ».
Disproportion de la peine
Le patron qui vire quelqu’un qui réclame le paiement correct de son salaire complet (ça devrait être interdit mais bon …), il ne va rien encourir qui le mette sur la paille et l’envoie à la soupe populaire, l’aide d’urgence du CPAS, non, rien de tout ça. Il devra payer les salaires manquant, of course, au moins. Au plus, cela dépendra du zèle de l’inspection des lois sociales…
La disproportion de la peine encourue par le chômeur et l’employeur est une autre de ces insoutenables injustices qui montrent que nous ne sommes que des pions dans un jeu de quilles, chômeur ou travailleur, les deux faces d’une même médaille, celle du salariat moribond, car bafoué chaque jour un peu plus, par des patrons-voyous que L’Etat n’a ni les effectifs, ni surtout la volonté politique de traquer, (un peu comme les banquiers), eux, on les plaint, on veut les aider, leur donner des réductions de cotisations ONSS patronales, le salaire brut du travailleur, amputant ce-dernier des cotisations dues pour la Sécu, creusant à terme le déficit de la Sécu.
Manque de rigueur et à peu près juridique
Tertio, l’impression générale de l’interrogatoire qui domine c’est un sentiment de grand manque de rigueur dans la récapitulation des faits, dans la recherche de la compréhension des faits et finalement de la vérité de la situation qui au départ est biaisée car le chômeur est présumé fautif. Le nez sur le clavier, on note à la volée en survolant les documents, nombreux, qu’on reçoit.
C’est la transformation du discours du chômeur dans la bouche du contrôleur qui est le plus choquant. Dans la bouche de l’ONEM, on n’entend quasiment pas de mots comme infractions aux lois sociales patronales…
Le non-emploi systématique du langage du droit social précis pour faire référence aux infractions commises par l’employeur, soit indique que le contrôleur est ignorant du droit, soit qu’il fait exprès de laisser le chômeur, non spécialiste, expliquer avec ses mots pour pouvoir le prendre en défaut, parce qu’il est incomplet ou se contredit par méconnaissance du droit et non volonté de mentir, vu la complexité des réglementations en vigueur.
Alors que par ailleurs, il suffit de recopier les faits repris dans les documents officiels comme la lettre du ministère de l’Intérieur ou copier-coller le contenu de la plainte aux lois sociales qui reprend tout le détail des rectifications de fiches de paie demandées. Enfin le contrôleur s’intéresse à la recherche d’emploi de notre chômeur alors que l’objet du contrôle porte sur le soupçon d’un chômage volontaire et les causes du licenciement. La dernière question piège, où après avoir vu qu’on ne le coincera pas sur le volet licenciement, on termine à tout hasard par une pèche miraculeuse à la faute à la recherche d’emploi. Le chômeur doit être prêt à répondre, avoir une stratégie en place. Sinon gare.
Chômeur +1 / ONEM -1
Si notre chômeur a vu son dossier classé sans suite, ce n’est très certainement pas dû au hasard et cela les travailleurs privés de salaire et « de bonne foi » doivent le comprendre, il ne faut pas s’attendre à la moindre bienveillance. J’ai même ouie-dire qu’un directeur d’un des bureaux de chômage wallons ordonne systématiquement une révision des décisions positives dans le cadre du contrôle de l’activation du comportement de recherche d’emploi (ce n’est pas la majorité mais cela en dit long sur l’arbitraire qui peut régner dans la pratique, d’autant que les facilitateurs sont des contractuels qui ont intérêt pour garder leur job à faire ce que leur hiérarchie leur suggère, fortement).
Notre chômeur est venu très préparé, et surtout, il a posé des actes officiels contre son employeur, qui démontrent que son employeur est un fraudeur social à répétition, des mois durant.
Paradoxalement, ce qui l’a conduit à perdre son boulot est aussi ce qui le sauvera de l’exclusion du chômage, car sans dossier point de salut!
Le dilemme entre « je me tais pour garder mon job » ou « je dénonce mon employeur et je risque le C4 » prend ici une nouvelle dimension.
La fraude sociale patronale est évidemment plus tolérée dans une situation de crise de l’emploi qui rend tout puissant les patrons-voyous qu’on ne chasse pas eux avec le même zèle systématique qu’on chasse les chômeurs, cible ultra-facile. La masse de chômeurs accroît, la pression sur les travailleurs, qui sous la menace, acceptent même de signer des accords sociaux diminuant leur droit, on ne compte plus en effet, les entreprises où les salariés sacrifient leur niveau de salaire pour conserver leur emploi. On voit à quel point c’est une arnaque patronale dans le cas des métallos d’ArcelorMittal, ce brigand de grand chemin, sans foi ni loi qui obtient monts et merveilles d’un pouvoir politique et syndical affaiblit et en final se barre avec la caisse…
Dura Lex Sed Lex … quoique
Le droit parvient ainsi comme toute idéologie à nous installer dans un univers moral sûr et intellectuellement confortable, expliquent Olivier Corten & Annemie Schaus « Le droit comme idéologie. Introduction critique au droit belge » 2009.).
L’inégalité de traitement, une fois chômeur, est patente car contrairement à toutes les autres disciplines du droit, en droit de l’assuré social, tout s’inverse, en particulier la charge de la preuve. Le droit a un traitement égal et non discriminatoire entre tous citoyen est pourtant indiscutablement un droit fondamental inscrit à la fois dans la Constitution belge et dans des conventions internationales.
La présomption d’innocence, un des fondements de l’Etat de droit, n’existe plus dès qu’on s’inscrit au chômage, en violation de l’Article 48 de la Charte européenne des droits fondamentaux (2). Dans le droit social belge, en particulier pour les allocataires sociaux, la charge de la preuve n’incombe pas à l’accusation, ici l’ONEM, mais bien au chômeur. Et avec l’algorithme du soupçon, on ne peut pas se tromper n’est-ce pas ? (cfr. la première partie de cet article)!
Dès lors, il est illusoire d’attendre que l’ONEM joue un rôle de conseiller impartial et d’initiative de l’assuré social, comme le stipule la Charte de l’assuré social qui régit le fonctionnement de tous les organismes au sein de la sécurité sociale, enfin cette loi du 11 avril 1995 reste un vœux pieux…
Article 4 : Dans les mêmes conditions, les institutions de sécurité sociale doivent dans les matières qui les concernent conseiller tout assuré social qui le demande sur l’exercice de ses droits ou l’accomplissement de ses devoirs et obligations.
Et le fait de violer ce principe a d’ailleurs valu à l’ONEM de se faire condamné par la Cour du Travail de Bruxelles.
En réalité, tout le monde estime que c’est devenu la mission des syndicats d’informer alors que c’est à l’Etat, garant de la neutralité, de donner l’info complète, référencée voire motivée au citoyen, comme le stipule la charte de l’assuré social. Aucun chômeur n’a jamais reçu de l’ONEM la législation chômage en cinq tomes …
L’honneur perdu de l’allocataire social
C’est fou comme on ignore la loi quand on est travailleur ou chômeur, en vérité, la législation ONEM pèse ses quelques bottins de téléphone, donc si l’on devait véritablement instruire les travailleurs (car désormais la majorité sont des précaires, entre CDD, intérim et chômage, donc ils finissent toujours par bénéficier de leur droit à l’assurance-chômage parfois au niveau le plus faible de l’allocation, faute de haut salaire), ils seraient majoritairement incapables ne serait-ce que de ramener à la maison tous les bottins (au sortir de l’inscription à l’organisme de paiement) et ensuite de digérer toute cette information légale plus qu’indigeste et, cerise sur le gâteau, sujette à interprétation et à l’arbitraire.
Si la formation civique au droit social du citoyen existait, cela tuerait dans l’œuf les stéréotypes véhiculés dans le but d’éliminer les droits sociaux du « chômeur-profiteur », des stéréotypes maintenant ânonnés par tous les partis politiques, signe d’une idéologie gagnante stigmatisant l’incivisme des « petites gens »tant dans le monde politique que celui du droit du travail.
Une fraude principalement « de survie » quand en face, le patronat fraude lui ou « profite » légalement de cadeaux d’Etat qui en comparaison à « la fraude de survie » laissent rêveur ! Pour les politiques, les juges et les juristes de droit social, le contrôle se justifie toujours, même si l’inégalité et la disproportion prédominent. D’équité, il n’est même plus question.
Quant à la justice sociale, les Tribunaux du Travail et la Cour de Cassation en particulier s’assoient dessus. Continuer de condamner des chômeurs en pleine pénurie d’emploi est surréaliste et montre l’indigence d’un monde judiciaire qui fabrique sa réalité virtuelle, une forme de révisionnisme du quotidien car leur réalité n’a rien à voir avec la vraie vie et n’en intègre pas toutes les dimensions à commencer par la profonde inégalité entre le salarié/chômeur vis à vis du patron/forem/onem quant à la signature de contrat – ou pseudo contrat pour les parastataux régionaux de l’emploi – sous la contrainte voire la menace d’une sanction ou exclusion du chômage.
La rectitude exigée du pauvre dans l’adversité n’est jamais attendue du patron qui s’il fraude peut toujours trouver des arrangements financiers avec l’inspection sociale et ne se voit pas lui couper les vivres, préventivement, sur le simple soupçon de fraude sociale ou fiscale!
La méritocratie ou comment créer de l’insécurité d’existence
Joseph Stiglitz, détenteur du Nobel d’économie, et professeur à la Columbia University déclarait à ABC News:
Cela n’a rien à voir avec la lutte des classes de demander à chacun dans le pays de payer un taux équitable d’impôt. Dire que les riches se servent de leur position politiquement à leur avantage et n’ont pas payé d’impôt en suffisance n’a rien à voir avec la lutte des classes. C’est énoncer un fait. La vérité est qu’ils paient des impôts plus faibles et la plupart des Etats-Uniens pensent que c’est injuste et inéquitable. L’évasion fiscale n’est pas due au hasard. C’est le résultat d’importants investissements politiques de la part des riches afin de recevoir un taux d’impôt préférentiel.
Le droit social ne doit pas s’établir au « mérite » comme le veut l’idéologie patronale hypocrite qui prétend «récompenser l’effort» de ceux qui travaillent pour à peine plus, voire moins, que le chômage complet. Car c’est l’intérêt suprême du patronat de pouvoir aussi arriver à limiter « le non-mérite évident» des chômeurs autant que celui des travailleurs.
La pression s’intensifie sur le salaire, cible première, directement suivi du contrat de travail dont le patronat européen via son lobby de prédilection, l’ERT tente d’éliminer toute protection contre le licenciement en plus de diminuer le niveau de protection sociale.
On aurait ainsi un travailleur ‘virable’ et dès lors ultra flexible et aux abois…
Ansi, sur le terrain salariale, en sus de la norme salariale devenue impérative, la bataille fait rage pour instaurer la part flexible du salaire dans des enveloppes budgétaires fermées. En clair, cela signifie mettre en compétition les travailleurs pour une part ridicule et minuscule du gâteau, de facto les travailleurs sont poussés ainsi à se battre entre eux pour des miettes quand la plus grande part des profits va aux actionnaires.
C’est dans ce contexte d’ultra compétitivité du monde du travail que s’établit la faiblesse du rapport de force des chômeurs. S’ils sont tétanisés, affamés, surendettés, que leur valeur marchande est dévaluée par la note Di Rupo qui y ajoute une dégressivité supplémentaire (jusqu’au niveau du revenu d’intégration sociale pour que ne hurlent pas les CPAS), le salaire suivra sur un alléluia du patronat.
Derrière chaque menteur, il y a un voleur disait ma mère, Ray Charles
Le patronat ne s’est jamais engagé qu’à une seule chose : la croissance riche en profit pour les actionnaires, jamais il ne s’engage à ce que la croissance soit riche en emplois durables et bien payés. La FEB ne cache pas qu’elle ne créera que 55 000 nouveaux emplois annuellement, une paille, ce qui ne l’empêche pas de continuer de réclamer et d’obtenir des aides à l’emploi – qui grève la Sécu – pour ne pas en créer plus ou en suffisance pour tous les chômeurs …
Le chômage structurel devenu chronique dans les démocraties occidentales européennes “généreuses” en allocations sociales ne sont pas le fait, comme le patronat le prétend, ou ses idéologues comme l’OCDE et la Commission européenne, des allocations sociales trop élevées voire indéterminées, mais bien du fait que le patronat n’a plus besoin d’autant d’emplois pour générer des profits plantureux (cfr. les profits du Bel-20 en temps de crise).
Mais la création d’emploi continue pourtant de servir d’alibi ou de chantage dans le discours politique directement sous influence patronale, signe de leur alliance objective contre le monde du salariat.
Dès lors, il faut au contraire renforcer et garantir le caractère assurantiel et solidaire de la Sécu et ne pas laisser la dérive de la méritocratie s’installer aussi dans le chômage. Au contraire, il faut fonder le droit (voire élargir le droit) en fonction des cotisations perçues, des critères objectifs d’accès, ou son caractère solidaire, en allant chercher les financements directement là où des profits sont réalisés.
On pourrait ainsi assurer l’octroi aux jeunes diplômés d’une allocation qui ne soit pas la plus basse, ni la plus sélective, car malheureusement on n’évite pas à une population jeune sous- diplômée d’échouer aux CPAS parce que le droit au chômage est trop restrictif (sur le niveau de diplôme requis pour avoir droit à l’allocation d’attente notamment)…
Choix idéologique, choix de société, mais surtout et avant tout, choix collectif éminemment politique pour sortir les sans emploi de la pauvreté, tirer vers le haut tous les salaires et les droits sociaux. C’est le contraire qui est en marche, créer un tiers monde occidental propice au travail obligatoire qui installe une société fasciste où le droit à la vie est déterminé; – sur un marché de dupes -, par la valeur marchande du travailleur établie à la hauteur des voeux d’un patronat tout puissant grâce au maintien d’un chômage structurel élevé. En Allemagne, la valeur marchande du sans emploi a déjà été dévaluée, le chômeur ne vaut plus qu’ 1 EUR/heure !
Qui dit mieux ?
Corine Barella
NB; cet article a été publié en 2011 sur mon ancien blog, les chiffres datent donc de cette époque.
*le chômeur concerné a enregistré tout l’entretien à l’ONEM sur son téléphone portable et m’a donné le fichier audio, des éléments ont été volontairement omis ou modifiés pour protéger l’identité du chômeur, l’essentiel du dialogue correspond à la réalité quoique résumé.
(1) art 53alinéa 2 AR législation chômage du 25/11/91 – explication sur ONEMTech
[La décision prise en application des articles 52 ou 52bis produit ses effets à partir du jour où le bureau du chômage a eu connaissance du fait qui a donné lieu à la décision précitée. En cas de licenciement, d’abandon d’emploi, de refus de collaborer ou d’accepter une offre d’outplacement, d’absence d’inscription auprès d’une cellule pour l’emploi ou d’absence de demande d’outplacement, suivi d’une demande d’allocations, la date de demande d’allocations est réputée être le jour où le bureau du chômage a eu connaissance du fait. (AR 9.3.2006 – MB 31.3 – EV 31.3)]
Dans l’attente de la décision visée à l’alinéa 1er, le directeur peut (2) ordonner la suspension du paiement des allocations à partir du jour de la prise d’effet précitée. Toutefois, la suspension est levée d’office et la décision n’a d’effet qu’à partir du lundi qui suit la remise à la poste du pli par lequel elle est notifiée au chômeur lorsque cette décision n’est pas prise dans un délai d’un mois et dix jours prenant cours le lendemain du jour où le bureau du chômage a eu connaissance du fait ou, en cas de licenciement ou abandon d’emploi, suivi d’une demande d’allocations, le lendemain du jour où le bureau du chômage a reçu le dossier complet. (3)
Lorsque l’audition du chômeur est reportée, le délai d’un mois et dix jours est prorogé à due concurrence.
(2) Présomption d’innocence et droits de la défense
1. Tout accusé est présumé innocent jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.
2. Le respect des droits de la défense est garanti à tout accusé.
(3) Rapport annuel de l’ONEM 2010: Annexes statistiques – Motifs d’exclusion
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